La communication d’une expertise postérieurement au délai convenu dans le protocole de l’instance
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Étude de marché 21 juillet 2023 21 juillet 2023
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Amérique du Nord
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Pratiques professionnelles
Dans un tel cas, faut-il produire une demande pour être relevé du défaut? Deux jugements récents de la Cour supérieure indiquent que « oui ».
Promutuelle Chaudière-Appalaches, société mutuelle d’assurance générale c. Four-Way Holdings, 2022 QCCS 2440
Dans l’affaire Promutuelle Chaudière-Appalaches, société mutuelle d’assurance générale c. Four-Way Holdings, 2022 QCCS 2440, la juge Gagnon a rappelé l’importance de respecter le contrat judiciaire qu’est le protocole de l’instance.
Dans le cadre de la mise en état du dossier, la partie demanderesse – à la date ultime pour la production de l’inscription pour instruction – avait notifié aux défenderesses deux expertises additionnelles, soit cinq mois suivant le délai convenu au protocole de l’instance, sans avoir obtenu le consentement des autres parties.
Se reportant aux articles 20, 148 et 150 du Code de procédure civile (CPC), la juge Gagnon a établi que pour être recevable, le dépôt d’une expertise effectué postérieurement à la date convenue dans le protocole de l’instance doit être précédé d’une requête qui permettrait à la demanderesse de procéder hors délai, tel que le prescrit l’article 293 du CPC qui se lit comme suit :
293. Le rapport de l’expert tient lieu de son témoignage. Pour être recevable, il doit avoir
communiqué aux parties et versé au dossier dans les délais prescrits pour la communication et
la production de la preuve. Autrement, il ne peut être reçu que s’il a été mis à la disposition des
parties par un autre moyen en temps opportun pour permettre à celles-ci de réagir et de vérifier
si la présence du témoin serait utile. Il peut toutefois être reçu hors ces délais avec la
permission du tribunal.
Et ce, à moins de l’obtention du consentement des autres parties.
Cette requête doit être appuyée d’une déclaration sous serment qui explique les motifs du retard, à moins que toutes les explications se trouvent déjà au dossier de la Cour. En effet, selon la juge Gagnon, « il ne suffit donc pas de [produire l’expertise] et de laisser aux autres parties le fardeau de s’opposer à la communication tardive ».
N’ayant pas produit une telle requête écrite, la demanderesse avait formulé une demande de délai pour présenter une demande subséquente lui permettant d’être relevée de son défaut de ne pas avoir communiqué les expertises dans les temps prescrits. Considérant qu’aucune explication ne justifiait le retard, la juge Gagnon a rejeté ladite demande. La demanderesse a ainsi été empêchée de produire ses rapports d’expertise.
La juge Gagnon a maintenu que le résultat aurait par ailleurs été identique si le tribunal avait eu à analyser une demande autorisant la communication tardive des expertises selon les critères de l’arrêt Modes Striva inc. c. Banque Nationale du Canada, 2002 CanLII 34212 (QC CA) de la Cour d’appel du Québec.
À titre de rappel, la Cour d’appel a établi au paragraphe 10 de l’arrêt Modes Striva qu’au moment d’autoriser la production d’une expertise, le juge doit examiner plusieurs facteurs de poids inégal, dont les suivants :
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Raisons qui ont empêché une partie de dévoiler à temps l’ensemble de ses preuves
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Préjudice subi par la partie si permission lui a été refusée
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Préjudice subi par la partie adverse
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Responsabilité de l’avocat et du client à l’origine du retard
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Conduite du dossier par les avocats depuis son début
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Saine administration de la justice
Blinds to Go Inc. c. Blachley, 2022 QCCS 3686 (CanLII)
Pareillement, dans l’affaire Blinds to Go Inc. c. Blachley, 2022 QCCS 3686 (CanLII), la partie défenderesse avait communiqué un rapport d’expertise plus de six mois après la date prévue au protocole de l’instance, et ce, sans avoir d’abord obtenu le consentement de ses adversaires.
S’inspirant des propos de la juge Gagnon, la juge Narang a noté que le retard de la défenderesse à communiquer l’expertise dans les délais convenus au protocole de l’instance avait entraîné un premier défaut. Qui plus est, comme la défenderesse avait omis de déposer une demande pour être relevée de ce premier défaut, cela a entraîné un deuxième défaut.
La juge Narang a toutefois décidé de libérer la défenderesse de ces deux défauts, puisque cette dernière a fini par soumettre, avant le délai d’inscription, une demande de bene esse pour l’autorisation du dépôt d’un rapport d’expertise.
La juge Narang a alors passé en revue les critères de l’arrêt Modes Striva résumé ci-haut, pour néanmoins arriver au rejet des rapports d’expertise.
Conclusion
La leçon à retenir est donc la suivante : assurez-vous de toujours obtenir le consentement de vos adversaires lorsqu’une communication postérieure au délai convenu dans le protocole de l’instance est anticipée. Dans le cas d’un refus, envisagez de produire une demande vous permettant d’être relevé de ce défaut. Vous vous éviterez de la sorte un débat de plus à la Cour!
Fin