Intervention des tribunaux dans les ententes de règlement d’actions collectives
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Étude de marché 13 juin 2023 13 juin 2023
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Amérique du Nord
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Pratiques professionnelles
Basé sur la jurisprudence récente en matière d’approbation d’ententes de règlement dans le cadre d’actions collectives, cet article offre un survol des critères considérés par les tribunaux en pareille matière.
Qu’elle soit en matière d’emploi, de protection des renseignements personnels, de discrimination, ou encore d’abus sexuels, l’action collective gagne en popularité, comme elle permet à un groupe de se réunir afin de faire valoir ses droits et de réaliser un objectif commun.
Avant qu’elle puisse être déposée, une telle procédure judiciaire est assujettie à une autorisation préalable du tribunal, lequel a le rôle de veiller à l’intérêt des membres du groupe.
Les actions collectives sont souvent visées par des ententes de règlement à l’amiable. Ces dernières sont en outre soumises à l’approbation du tribunal, en vertu de l’article 590 du Code de procédure civile (C.p.c.).
Critères d’approbation
Rendu en janvier 2022 par le juge Sheehan, le jugement Option consommateurs c. Meubles Léon ltée résume bien les critères d’approbation d’une entente. Il énonce notamment ce qui suit :
- « Le tribunal n’est pas tenu d’approuver simultanément la transaction et les honoraires de l’avocat, sauf quand les parties stipulent clairement que la transaction est indivisible à cet égard ». Le tribunal peut également reporter l’approbation des honoraires à une étape plus appropriée, par exemple lorsque le rapport de l’administrateur des réclamations précisera le bénéfice réel obtenu par les membres. »
- « Lorsque le tribunal doit approuver une transaction ou les honoraires des avocats du groupe, il doit toujours garder en tête les objectifs sociaux visés par la procédure de l’action collective, soit de faciliter l’accès à la justice, modifier des comportements préjudiciables et économiser les ressources judiciaires. »
- « Bien que l’article 590 C.p.c. n’énonce aucun critère précis, il est maintenant acquis que le rôle du tribunal, appelé à approuver une transaction, est de s’assurer qu’elle est juste, équitable et qu’elle s’inscrit dans l’intérêt fondamental des membres du groupe. Ce faisant, il doit soupeser les bénéfices de l’entente pour les membres et les comparer aux inconvénients. Il doit aussi tenir compte des objectifs initiaux de la procédure introductive d’instance et les comparer avec les avantages concrets de la transaction pour les membres. Finalement, le tribunal doit veiller à ce que “soit maintenue l’intégrité du processus judiciaire”. »
De plus, il importe de noter que la jurisprudence québécoise a majoritairement adopté certains critères additionnels décrits par le juge Sharpe dans Dabbs v. Sun Life Assurance Co. of Canada, soit les suivants :
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Les termes et les conditions de la transaction
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Les probabilités de succès du recours
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L’importance et la nature de la preuve administrée
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La recommandation des avocats et leur expérience
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Le coût des dépenses futures et la durée probable du litige
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La recommandation d’une tierce personne neutre, le cas échéant
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Le nombre et la nature des objections à la transaction
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La bonne foi des parties et l’absence de collusion
Alors que les ententes de règlement d’actions collectives se multiplient au Canada, la question portant sur l’intervention des tribunaux dans ces procédures gagne en importance. Aux fins d’illustration de l’application des critères d’approbation d’une entente, deux jugements d’actualité ainsi que l’intervention du tribunal dans le processus seront abordés dans cet article.
Honoraires raisonnables
Rendu en avril 2022, le jugement A.B. c. Clercs de Saint-Viateur du Canada s’inscrit dans le cadre d’une action collective intentée au nom de victimes d’agressions sexuelles contre plusieurs institutions religieuses et leurs assureurs. En première instance, le tribunal a rejeté la demande pour approbation de l’entente de règlement prévoyant un fonds d’indemnisation de 28 000 000 $ et a jugé que les honoraires de 25 % réclamés par les avocats du groupe n’étaient pas justifiés en l’espèce. Le tribunal a qualifié ces honoraires d’excessifs et a statué qu’ils n’étaient pas dans l’intérêt des membres du groupe.
Cependant, dans son jugement rendu en avril 2023, la Cour d’appel a accepté l’entente de règlement, la jugeant juste et dans l’intérêt des membres. D’ailleurs, elle a conclu que les honoraires maintenant réclamés par les avocats du groupe (soit 20 % du fonds de règlement) étaient raisonnables, tout comme ceux de 25 % réclamés en première instance. La cour a ensuite statué que le juge de première instance n’avait pas à refuser l’entente seulement en raison des honoraires estimés excessifs. Il aurait dû approuver l’entente en révisant le montant des honoraires prévu par les parties, et ce, en respectant l’entente « dans son intégralité », tel que le permet l’article 593 du Code de procédure civile.
Rendue en mars 2022, la décision Leung c. Uber Canada inc. – concernant deux dossiers entrepris contre la compagnie Uber pour violation de la Loi sur la protection du consommateur – est bien particulière. En effet, le tribunal a refusé l’entente nonobstant que les parties aient réglé leur différend.
L’entente de règlement intervenue entre les parties proposait un montant de 200 000 $, réparti comme suit : 63 500 $ aux avocats du groupe; 60 % du reliquat de 136 500 $ au Fonds d’aide aux actions collectives (FAAC), soit 81 900 $; et le solde du reliquat, soit 55 000 $, distribué à divers organismes de charité, au choix d’Uber. Ainsi, selon l’entente, aucun montant d’argent n’allait être payé à l’un ou l’autre des membres des groupes.
Finalement, le tribunal a refusé l’entente notamment en raison du faible montant pécuniaire du règlement, considérant que le groupe était composé de 1 900 000 membres; de l’absence de preuve selon laquelle Uber aurait choisi de faire commerce différemment au Québec; du libellé ambigu de la quittance; du déséquilibre inapproprié dans la répartition du montant du règlement; ainsi que de l’absence d’un lien de connexité suffisant aux activités commerciales d’UberEats. Toutefois, les parties ont continué le processus, et l’action a été autorisée en octobre 2022. À ce jour, aucune entente de règlement n’a encore été approuvée.
Importance de l’intérêt des membres dans l’approbation du tribunal
Comme il a été démontré, l’approbation du tribunal exerce une influence critique sur les ententes de règlement des actions collectives. En raison du rôle essentiel du tribunal (qui consiste à veiller à l’intérêt des membres), une entente de règlement peut être refusée même si les parties au litige ont réglé leur différend. Donc, lorsque le tribunal doit approuver une entente de règlement ou statuer sur le caractère raisonnable des honoraires des avocats du groupe, il accorde une grande importance à l’intérêt des membres visés par la procédure de l’action collective. Bref, il revient à la discrétion du tribunal – guidé par les critères d’approbation et les faits propres à chaque dossier – d’approuver ou non une entente de règlement.
Fin