Actions collectives contre les congrégations religieuses: Des leçons pour les assureurs
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Étude de marché 4 avril 2022 4 avril 2022
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Amérique du Nord
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Assurance et réassurance
Au Québec, les actions collectives intentées contre des congrégations religieuses par des groupes de victimes alléguant des abus sexuels commis dans le passé sont en essor depuis plusieurs années et continuent d’être d’actualité à ce jour.
Cette tendance a notamment été renforcée par le projet de Loi 55, entré en vigueur le 12 juin 2020 selon lequel la prescription des recours pour abus sexuels a été abolie. Puisqu’en règle générale ces actions collectives finissent par être réglées avant l’obtention d’un jugement au mérite, sauf à quelques exceptions près, la majorité des jugements pertinents rendus dans ces recours concernent des moyens préliminaires et plus souvent les jugements les plus détaillés sont rendus dans le cadre d’approbation de règlements hors cour.
Même s’il n’est pas toujours évident de déceler une tendance dans les décisions approuvant des ententes de règlement dans le cadre de recours collectifs de cette nature, on constate néanmoins plusieurs facteurs susceptibles d’influencer les paramètres du règlement. Il y a notamment la composition du groupe visé, les ressources financières de la congrégation religieuse poursuivie et l’existence ou non d’une police d’assurance couvrant la responsabilité de cette dernière, pour n’en nommer que quelques-uns.
À ce jour au Québec, il est question de plus d’une centaine de millions de dollars qui ont été ou seront versés par des congrégations religieuses et autres co-défendeurs à des groupes de victimes dans le cadre d’actions collectives pour abus sexuels.
Tout récemment en février 2022, la Cour supérieure du Québec a entendu une demande pour approbation d’un règlement de 28 millions $ dans le cadre d’une action collective intentée contre les Clercs de Saint-Viateur, en lien avec des agressions sexuelles qui auraient été perpétrées sur 375 anciens élèves et pensionnaires de ses établissements. Le jugement dans ce dossier devrait être rendu dans les prochains mois.
Précédemment, de très nombreux règlements en matière similaire ont été approuvés par les tribunaux québécois. D’abord en 2011, la Communauté de la Congrégation de Sainte-Croix a réglé un dossier de recours collectif pour la somme de 18 millions $, indemnisant 206 victimes d’agressions sexuelles alléguées. Ensuite en 2014, c’est la somme de 20 millions qui a fait l’objet d’un règlement par la Congrégation du Très-Saint-Rédempteur, cette fois-ci pour près de 75 victimes. Plus tard en 2016, les Clercs de Saint-Viateur du Canada et d’autres défenderesses ont réglé une première action collective logée contre eux pour la somme de 30 millions $, pour 150 victimes. Plus récemment en septembre 2021, dans le cadre du règlement des dossiers A. c. Frères du Sacré-Cœur et F. c. Frères du Sacré-Cœur, la Cour supérieure du Québec a approuvé une entente de règlement dans son intégralité pour la somme historique de 60 millions de dollars, cette fois-ci pour plus de 250 victimes. Il s’agit d’un montant de règlement inégalé au Québec en matière d’action collective pour des abus sexuels. Le dénouement de ce dossier s’inscrit dans une nouvelle tendance jurisprudentielle sans précédent à laquelle font non seulement face les congrégations religieuses, mais aussi leurs assureurs qui sont très souvent appelés en garantie dernièrement.
En effet, puisque les congrégations religieuses poursuivies dans de telles actions collectives ont de plus en plus adopté l’approche d’impliquer leurs assureurs par voie d’appels en garantie, il y a certains points d’intérêt qui méritent d’être soulignés.
La présence d’une exclusion d’abus
D’abord, il faut encadrer rigoureusement l’inconduite sexuelle dans une police d’assurance émise des assurés comme une congrégation religieuse. Même si cela n’est pas toujours possible puisque plusieurs assureurs impliqués le sont pour des polices d’assurance datant d’avant les années 2000, soit le moment où les situations d’abus en milieux religieux ou scolaire ont commencé à être connues, le meilleur conseil qui existe serait de « prévenir avant de guérir ». La rédaction d’un avenant pour exclure toutes réclamations pour abus sexuels de la couverture d’assurance devient une pratique de plus en plus fréquente chez certains assureurs, et ce afin d’éviter d’avoir à débourser pour ce type de réclamation dans le futur.
Les assureurs ayant émis des polices dans les années 1950 à 2000 ne peuvent évidemment pas remonter dans le temps en incluant ou en rendant applicable un tel avenant, mais ce type d’exclusion n’en demeure pas le moins utile pour ce qui est du futur. Notons cependant que certains assureurs de congrégations religieuses offrent ou ont offert une certaine protection pour des réclamations pour abus sexuels, mais cette protection est d’habitude rigoureusement encadrée avec des conditions spécifiques et sujettes à des sous-limites de couverture bien définies.
Qu’il soit décidé d’inclure ou d’exclure les réclamations pour inconduite sexuelle de la police d’assurance, ce qu’il importe de retenir, c’est d’être le plus clair possible dans l’engagement de couverture et de ne pas laisser place à l’ambiguïté. Une clause d’exclusion claire, de portée générale et sans réserve est probablement la meilleure façon de procéder pour se doter d’un argument de défense important dans le cadre de procédures en garantie contre les assureurs.
Prudence et diligence : toujours de mise
Dans le même ordre d’idées, l’assureur doit faire preuve de prudence et de diligence tout au long de la relation d’affaires avec la congrégation religieuse assurée. L’assureur devrait alors s’interroger sur plusieurs volets de la matérialisation de cette relation d’affaires. Entre autres, la connaissance par la congrégation religieuse assurée, au moment de la souscription d’assurance, de l’existence réelle ou alléguée d’abus sexuels au sein de ses établissements est une information manifestement décisive pour l’assureur. S’il s’avère que l’assurée était au courant de la perpétration d’actes de cette nature, il s’agit d’une information qui doit être divulguée par cette dernière à son assureur dès que cette connaissance est acquise et plus particulièrement au moment de la souscription ou du renouvellement d’une police d’assurance. Ceci s’inscrit dans le cadre de l’obligation de la « plus haute bonne foi » applicable dans le cadre d’un contrat d’assurance. Le fait de savoir qu’un risque que l’on entend assurer directement ou indirectement s’est déjà produit dans le passé influe énormément sur la décision d’accepter de souscrire un risque ou non.
L’assureur gagne donc à se préparer une liste de questions ponctuelles à poser aux congrégations religieuses qu’il assure, à la souscription ainsi qu’à chaque renouvellement, ne serait-ce que pour s’assurer que toute l’information pertinente est divulguée et garantir une couverture qui demeure proportionnelle au risque auquel l’assureur s’est engagé ou pour lequel il continu à s’engager. Cela étant, même si la question n’est pas posée directement, un assuré demeure obligé de divulguer volontairement toute information pouvant avoir un impact sur le risque assuré ou proposé.
Cependant, plusieurs plaident aujourd’hui que la connaissance collective concernant la perpétration d’abus sexuels en milieux éducatifs religieux peut être considérée notoire. Un assureur risque donc de se faire reprocher de ne pas avoir posé ce genre de questions à une congrégation religieuse, que ce soit lors de la souscription ou lors d’un renouvellement d’une police d’assurance.
C’est pourquoi, si l’assureur reçoit une réclamation pour abus sexuel en cours de police, il est primordial que l’enquête à mener se concentre notamment sur les informations divulguées par l’assuré au moment de la souscription ou lors du renouvellement. Ce moment dans la relation entre l’assureur et l’assuré est déterminant. Lors de l’enquête, il s’agira alors de déterminer que les informations qui ont été communiquées lors de la souscription étaient complètes, sans réserve et vraies aux meilleurs des connaissance de la direction d’une congrégation religieuse. Si une congrégation religieuse est au courant d’abus sexuels ou ne peut raisonnablement les ignorer dû à une situation d’abus sexuels systémiques, par exemple, et que cette connaissance n’a jamais été divulguée à l’assureur, cela devrait remettre en question la validité du contrat d’assurance. On accorderait ainsi aux assureurs un argument de défense important à faire valoir dans le cadre de procédures en garantie intentés contre eux dans le cadre d’actions collectives de cette nature. Dans cette optique, une évaluation et une réévaluation complète du risque par les assureurs, lorsqu’orchestrée de manière raisonnable au moment de la souscription et du renouvellement d’une police d’assurance peuvent également constituer des moyens efficaces afin de garantir une couverture qui demeure proportionnelle à ce que l’on s’est engagé.
Rattachement aux périodes de garantie
Il peut sembler absurde qu’une police d’assurance émise pour une congrégation religieuse en 2005, par exemple, puisse couvrir des abus sexuels commis entre 1930 et 1980 par ses membres. C’est d’ailleurs un des arguments importants avancés par les assureurs, lorsque confrontés à une action en garantie dans le cadre d’actions collectives pour abus sexuels. Toutefois, les congrégations religieuses mettent souvent de l’avant que les dommages résultant de tels abus survivent à travers le temps et servent ainsi à enclencher la couverture d’assurance de tous les assureurs subséquents. Il s’agit de la théorie du « continuous trigger » qui demeure très fortement contestée par les assureurs. À cet égard, aucune décision québécoise n’a confirmé la validité de cette théorie. Conséquemment, jusqu’à ce qu’un tel jugement soit rendu, il semble improbable, voire impossible que les assureurs puissent complètement empêcher d’être impliqués dans ce type d’action collective, et ce même si leurs polices d’assurances ont été émises 30, 40 ou 50 ans après des abus sexuels réels ou allégués. Ceci souligne donc l’importance, dans la mesure du possible, d’inclure des exclusions d’abus claires ainsi que de procéder à une analyse du risque qui implique des questions directes aux congrégations religieuses quant à la connaissance d’abus sexuels réels ou allégués dans le passé.
Les règlements à l’amiable : la tendance
Les réclamations en matière d’abus sexuels constituent un sujet délicat très délicat qui, en temps normal, bénéficierait d’être traité de manière privée et confidentielle. En ce sens, depuis 2016, le Code de procédure civile a solidifié l’obligation de considérer les modes privés de prévention et de règlement des différends avant de s’adresser aux tribunaux pour régler des mésententes. Cette considération prend tout son sens en l’espèce, étant donné que le fait de trouver un terrain d’entente tout en conservant la confidentialité du processus constitue un avantage évident pour les victimes et les congrégations religieuses impliquées. Malheureusement, cela n’est pas toujours possible, d’où la raison pour laquelle autant de recours collectifs similaires ont dû être déposés devant les tribunaux depuis dix ans.
Malgré cela, la tendance qui se développe est de procéder à une conférence de règlement à l’amiable après avoir complété certaines étapes du dossier, notamment la communication de documents et la tenue d’interrogatoires. En effet, ce type de recours collectif n’a pas donné lieu à un jugement aux mérites depuis la cause des Rédemptoristes il y a plusieurs années, puisque ceux-ci finissent d’habitude par être réglés à l’amiable.
Vu ce qui précède, il semble illusoire de croire que les assureurs de congrégations religieuses puissent arrêter d’être impliqués dans des actions collectives pour abus sexuels pour les années à venir sans jurisprudence claire, empêchant de telles actions en garantie. Il devient donc primordial pour ces assureurs de se prémunir de plusieurs moyens de défense, comme ceux discutés dans ce commentaire, dans le but de contrecarrer le plus possible l’argument général que des abus sexuels et les réclamations qui en découlent doivent être couverts par une police d’assurance.
Fin