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26 janvier 2021

La Cour supérieure du Québec confirme l'arbitrabilité des différends en matière de couverture d'assurance

26 janvier 2021 Assurance et réassurance Amérique du Nord

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Mettant fin à des années de jurisprudence ambiguë, le juge Gary Morrison a confirmé, dans l’affaire 9369-1426 Québec Inc. (Restaurant Bâton Rouge) c. Allianz Global Risks, que le droit québécois permet l’arbitrage de différends en matière de polices d’assurance à l’exclusion des tribunaux.

Confrontés à des pertes d’exploitation attribuables à la COVID-19, certains franchisés de la chaîne Bâton Rouge ont cherché à faire certifier un recours collectif contre Allianz au nom de tous ses restaurants et bars assurés au Québec en réclamant une couverture en vertu d’une police d’assurance de biens. Au nom d’Allianz, Clyde & Co a demandé le rejet de l’action et l’empêchement de la certification sur la base de la clause de règlement des différends de la police d’assurance, qui prévoit la médiation et/ou l’arbitrage exécutoire. Le juge Morrison a accueilli la requête et a rejeté l’action.

 

Recours à l’arbitrage à l’exclusion des tribunaux

L’article 3148 du Code civil du Québec (« C.C.Q. ») établit la compétence personnelle et matérielle des tribunaux québécois, sauf dans les cas où les parties ont convenu par contrat de soumettre un différend soit à la compétence d’un tribunal étranger soit à l’arbitrage. Cette règle générale est suivie de trois dispositions spécifiques concernant la compétence en matière de contrats de consommation et de travail (article 3149), d’amiante et autres minéraux (article 3151) et de polices d’assurance (article 3150). Notamment, les articles 3149 et 3151 prévoient que les tribunaux québécois ont une compétence exclusive sur ces questions, de sorte qu’elles ne peuvent être soumises à l’arbitrage.

En ce qui concerne les contrats d’assurance, l’article 3150 prévoit que les tribunaux québécois ont également compétence sur un différend découlant d’un contrat d’assurance lorsque l’assuré ou le bien assuré est situé au Québec. Toutefois, contrairement aux articles 3149 et 3151, l’article 3150 ne dit pas si l’inclusion d’une clause d’arbitrage peut écarter la compétence des tribunaux.

Confrontés à ce silence, les tribunaux ont par le passé pris des décisions qui ont par inadvertance regroupé l’article 3150 avec les articles 3149 et 3151, et dans des remarques incidentes, ont considéré que, tout comme les contrats de consommation, les contrats de travail et les contrats liés à l’amiante, les polices d’assurance ne pouvaient pas être assujetties à des clauses d’arbitrage même si, comme il a été mentionné précédemment, l’article 3150 est muet sur cette question.

Par exemple, dans l’affaire Construction injection EDM inc. c. SNC-Lavalin Construction (Atlantic) Inc., 2013 QCCS 5049 — qui n’était pas un différend en matière d’assurances — la Cour supérieure, dans un obiter dictum, regroupe par inadvertance l’article 3150 avec les articles 3149 et 3151 pour conclure que le législateur a exclu le recours à l’arbitrage dans les trois articles. Dans l’affaire United European Bank and Trust Nassau Ltd. c. Duchesneau 2006 QCCA 652, également dans une opinion incidente, la Cour d’appel du Québec a accepté l’argument d’une partie selon lequel les articles 3149 à 3151 empêchent l’arbitrage des différends. On retrouve également la même conclusion dans l’affaire KOM International inc. c. Swiednicki, 2018 QCCS 546.

Comme il a été mentionné, aucune de ces affaires ne concernait des polices d’assurance ou l’exercice de la compétence des tribunaux en vertu de l’article 3150. Elles semblent toutes reposer sur une lecture de la décision de la Cour suprême dans l’affaire GreCon Dimter inc. c. J.R. Normand inc., 2005 CSC 46, malgré le fait que GreCon elle-même avait clairement porté à l’attention du tribunal le fait que seuls les articles 3149 et 3151 excluent le recours à l’arbitrage.

 

Les contrats d’assurance peuvent faire l’objet d’un arbitrage

En revanche, dans l’affaire Bâton Rouge, le juge Morrison a suivi le seul précédent — dans un différend en matière d’assurance — concernant l’article 3150 : Mega Bloks Inc. v. American Home Insurance Company, 2006 QCCS 5083. Il a conclu que, dans son mutisme, l’article 3150 permet que les différends relatifs aux polices d’assurance soient soumis à l’arbitrage. Ce faisant, le juge Morrison a également souligné la position privilégiée que le législateur québécois a accordée aux modes alternatifs de règlement des différends dans le Code de procédure civile.

Cette décision est conforme au débat législatif sur la rédaction de l’article 3150 lors de la réforme du Code civil du Québec, où le législateur a spécifiquement choisi de permettre l’arbitrage des différends en matière d’assurance.

 

Rien d’inéquitable dans l’arbitrage des différends en matière d’assurance

Bien que les recours collectifs constituent une tribune importante pour demander l’accès à la justice, la Cour suprême du Canada a souvent statué qu’une clause d’arbitrage doit être respectée (Dell, Seidel), sauf lorsque celle-ci est utilisée de façon déraisonnable pour empêcher l’accès à la justice (Uber Technologies Inc. c. Heller, 2020 CSC 16). Il incombe au législateur d’adopter des lois précises lorsque d’autres intérêts, comme la protection des consommateurs ou des employés, sont considérés comme ayant préséance sur la liberté contractuelle.

À cet égard, le juge Morrison a également reconnu qu’il n’y a rien d’inéquitable dans l’arbitrage d’un différend en matière d’assurance.

 

Une clause d'élection de for n’exclut pas l’arbitrage.

L’autre précision notable dans le jugement du juge Morrison est qu’une clause d'élection de for peut coexister avec une clause d’arbitrage. Dans ce cas-ci, et c’est souvent ainsi, la police comprenait à la fois une clause d’arbitrage et une clause concernant la désignation du droit applicable qui précisait que

"les tribunaux du district judiciaire où se trouve l’assuré désigné ont compétence exclusive en cas de différends en matière de couverture d’assurance".

De telles clauses peuvent sembler contradictoires, créant une ambiguïté potentiellement grave quant aux intentions des parties. Toutefois, le juge Morrison a suivi le principe bien établi de l’interprétation des contrats pour lire les deux clauses dans une affaire qui les préserve toutes les deux. Ce faisant, il a déterminé que la police contenait à la fois (i) une clause d’arbitrage pour le règlement des différends et (ii) une clause d'élection de for qui précisait les tribunaux auxquels les parties à l’arbitrage demanderaient de l’aide, au besoin, pour le processus d’arbitrage, que ce soit pour nommer un arbitre, ou demander des mesures de redressement d’urgence ou tout autre redressement semblable.

 

Commentaire de Clyde

L’arbitrage des polices d’assurance présente de nombreux avantages pour les assurés et les assureurs commerciaux, notamment la possibilité de régler un différend de façon définitive dans le cadre d’une procédure rapide qui n’est pas sujette à des retards devant les tribunaux civils par des arbitres qui connaissent bien les activités de l’assureur et de l’assuré. Comme l’a reconnu le juge Morrison, l’arbitrage est également conforme à l’article 3150 du C.C.Q. et à l'esprit du droit québécois qui favorisent les modes alternatifs de règlement des différends.

Il reste cependant à voir dans quelle mesure le secteur de l’assurance sera prêt à adopter l’arbitrage comme mode alternatif de règlement des différends privilégié dans les programmes commerciaux au Québec, même s’il présente désormais l’avantage d’être reconnu comme une protection contre les recours collectifs.

À propos du rapport

Produit

26 janvier 2021

Écrit par:

Gabriel Archambault

Gabriel Archambault

Associé

John Nicholl, Ad. E.

John Nicholl, Ad. E.

Associé

Eric van Eyken

Eric van Eyken

Avocat principal

Temps de lecture

5 mins

À propos du rapport

Produit

26 janvier 2021

Écrit par:

Gabriel Archambault

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Associé

John Nicholl, Ad. E.

John Nicholl, Ad. E.

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Eric van Eyken

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