Actions collectives: La Cour suprême confirme que le seuil d'autorisation est moins élevé au Québec
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6 novembre 2020 6 novembre 2020
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Amérique du Nord
Au Québec, il suffit de démontrer le caractère défendable du syllogisme juridique proposé et d’identifier une seule question commune pour qu’une action collective aille de l’avant. C’est ce qui ressort de la décision rendue par le plus haut tribunal du pays dans l’arrêt récent Desjardins Cabinet de services financiers inc. c. Asselin, 2020 CSC 30. La décision vient confirmer l'état du droit au Québec en matière d'autorisation d'actions collectives.
La Cour suprême du Canada maintient l'état du droit établi suivant les arrêts Infineon Technologies AG c. Option consommateurs, Vivendi Canada Inc. c. Dell’Aniello, et L’Oratoire Saint‑Joseph du Mont‑Royal c. J.J., qui confirment l'approche souple et flexible qui doit être adoptée au stade de l'autorisation d'une action collective. Le seuil d'autorisation au Québec est peu élevé et l'action collective doit être autorisée dès que les conditions prévues au Code de procédure civile sont remplies: le ou la juge devant trancher n'exerce alors qu'une fonction de filtrage pour écarter les demandes frivoles et manifestement non fondées[1].
Les faits de cette affaire sont les suivants.
En 2011, Ronald Asselin a demandé l'autorisation d'exercer une action collective contre Desjardins Cabinet de services financiers inc. (Cabinet) et Desjardins Gestion internationale d'actifs inc. (Gestion) après qu'on l'ait informé qu'en raison de la crise financière, les placements qu'il avait effectués ne produiraient aucun rendement à terme.
M. Asselin reproche à Cabinet de l'avoir incité à contracter des placements qualifiés de sûrs, alors que ceux-ci comportaient un risque affectant de manière importante leur potentiel de rendement et dont Cabinet, par l'intermédiaire de ses représentants, aurait omis de le prévenir. Cabinet aurait ainsi manqué à son devoir d'information et serait responsable des dommages subis par les membres du groupe qui, comme M. Asselin, détenaient les placements n'ayant produits aucun rendement à terme (le Groupe).
En ce qui concerne Gestion, M. Asselin lui reproche d'avoir manqué à ses obligations et devoirs de compétence dans la conception et la gestion desdits placements, en plus d'avoir usé de stratégies financières inappropriées.
En première instance, la Cour supérieure refuse d'autoriser l'action collective, concluant que les conditions d'apparence de droit et d'existence de questions communes, prévues au Code de procédure civile, n'étaient pas remplies. En 2017, la Cour d'appel du Québec renverse cette décision et autorise l'action collective de M. Asselin. La Cour suprême, avec une majorité de six contre trois, confirme la décision de la Cour d'appel du Québec autorisant l'action collective.
Les motifs de la majorité concernent en grande partie le recours à l'encontre de Cabinet et tout comme les décisions des instances inférieures, ils s'articulent autour de deux conditions suivantes: (i) « les faits allégués paraissent justifier les conclusions recherchées », soit l'apparence de droit (art. 1003b) a.C.p.c.); et (ii) les recours des membres soulèvent des questions de droit ou de fait identiques, similaires ou connexes, soit l'existence de questions communes (art. 1003a) a.C.p.c.)[2].
L'apparence de droit
La Cour confirme que les membres du groupe sont liés à Cabinet par un contrat de services. C'est donc dans le cadre de cette relation contractuelle que M. Asselin allègue une double faute de Cabinet. Celle-ci n'aurait pas suffisamment instruit l'ensemble de ses représentants concernant les risques associés aux placements. Les représentants auraient à leur tour omis d'informer adéquatement M. Asselin et les autres membres du Groupe, leur causant ainsi un préjudice. Ainsi, la première faute, celle du Cabinet entraînerait sa responsabilité « directe », tandis que la seconde faute, celle des représentants, entraînerait plutôt sa responsabilité « indirecte » en tant que mandant ou employeur des représentants ayant systématiquement commis une faute identique[3].
C'est donc un manquement au devoir d'information qui est en cause, soit l’obligation de divulguer des faits à celui qui peut légitimement s’attendre à ce qu’on les lui dévoile afin de régler son comportement. La distinction entre le devoir d'information et le devoir de conseil (l'obligation de donner un avis à une personne dans l’intérêt de celle-ci) s'est d'ailleurs avérée importante dans l'analyse de la Cour suprême[4].
Le devoir d'information étant moins onéreux et particularisé que le devoir de conseil, la cour a conclu que les allégations de la requête de M. Asselin (qui doivent de toute façon être présumées avérées) portant sur le manquement de Cabinet à son devoir d'information étaient appuyées par la preuve au dossier, qui était d'ailleurs « plus que suffisante ». À cet égard, la cour rappelle qu'au Québec, contrairement à ce qui est requis dans le reste du pays au stade de l'autorisation d'une action collective, le requérant n'est pas tenu de démontrer que sa demande repose sur un « fondement factuel suffisant »: il n'a qu'à démontrer le caractère défendable du syllogisme juridique proposé[5].
L'existence de questions communes
La distinction entre le manquement au devoir d'information (allégué), et le manquement au devoir de conseil (non allégué), s'est également avérée déterminante dans l'examen de la condition relative à l'existence d'une question identique, similaire ou connexe qui ferait avancer le dossier. La cour a indiqué que le devoir d'information était plus susceptible d'avoir une portée générale et de donner lieu à des questions communes que le devoir de conseil[6]. En l'espèce, l'omission alléguée serait commune à l'ensemble des membres du Groupe puisque l'information « essentielle et objective » sur les placements n'aurait jamais été transmise aux représentants qui n'auraient alors pas pu la relayer aux clients-investisseurs et ce, indépendamment des caractéristiques individuelles de ceux-ci[7].
La cour a aussi précisé qu'il était faux de prétendre qu'une action collective contre une maison de courtage fondée sur la relation conseillère-client pour un manquement au devoir d'information était impossible. Cette prétention n'étant pas étayée par la jurisprudence, la cour a conclu que « [f]ermer la porte au recours collectif proposé de façon aussi catégorique fragiliserait la vocation du recours collectif comme mécanisme procédural de justice sociale dans ce contexte »[8].
Ultimement, il a donc été déterminé qu'un manquement généralisé et systématique au devoir d'information envers les clients-investisseurs soulevait des questions communes et que cette condition était conséquemment remplie. Au Québec, contrairement à ce qui est exigé dans d'autres juridictions, le requérant n'a pas à démontrer que les questions communes soulevées sont prédominantes: il suffit d'en identifier une seule et qu'elle fasse progresser le litige de manière non négligeable[9].
Le recours contre Gestion
En ce qui concerne l'action collective à l'encontre Gestion, la Cour suprême a confirmé que les conditions prévues au Code de procédure civile étaient remplies, soulignant notamment que la question du lien causal entre les prétendues fautes de Gestion et le préjudice des membres du Groupe relevait du fond[10]. La cour a néanmoins modifié les conclusions de l'arrêt de la Cour d'appel du Québec en précisant l'objet de a réclamation pour dommages punitifs[11].
Par cet arrêt, la Cour suprême vient donc confirmer l'état du droit en matière d'actions collectives au Québec, réaffirmant que les conditions à l'autorisation de tels recours établissent un seuil moins élevé qu'ailleurs au pays.
Dans l'exercice de leur fonction de filtrage, les juges devront se contenter d'écarter les demandes frivoles et éviter de faire preuve de rigorisme ou de littéralisme injustifié dans leur examen de la requête au stade de l'autorisation. À cet égard, la Cour d'appel du Québec a d'ailleurs utilisé dans son arrêt l'expression « lire entre les lignes », ce qui a fait l'objet de certaines critiques. Or, la Cour suprême indique qu'il ne s'agissait pas là d'une déviation de l'état du droit, mais bien d'une démarche conforme aux enseignements de la cour et permettant de faire abstraction de défauts rédactionnels et de voir l'ensemble de la requête pour en comprendre le sens véritable[12].
L'action collective intentée par M. Asselin pourra donc aller de l'avant. Toutefois, si le plus haut tribunal du pays a conclu que le recours avait une apparence de droit, le demandeur devra maintenant en démontrer l'existence en commençant par les fautes commises par Cabinet et Gestion, le préjudice subi par les membres du Groupe et le lien de causalité entre les deux.
[1] Desjardins Cabinet de services financiers inc. c. Asselin, 2020 CSC 30, par. 25 à 27.
[2] Ceci correspond aux dispositions de l'ancien Code de procédure civile, puisque l'action collective avait été intentée avant l'entrée en vigueur du nouveau Code de procédure civile. Les dispositions correspondantes du nouveau Code de procédure civile sont respectivement 575(2) C.p.c. et 575(1) C.p.c.
[3] Desjardins Cabinet de services financiers inc. c. Asselin, 2020 CSC 30, par. 29.
[4] Id., par. 61.
[5] Id., par. 81. Aux paragraphes 67 à 82, la Cour explique pourquoi la preuve administrée par M. Asselin est suffisante en se penchant notamment sur le fardeau de preuve lorsqu'il s'agit de démontrer une omission (par opposition à un fait positif) comme le manquement au devoir d'information.
[6] Id., par. 104
[7] Id., par. 90 à 105. Aux paragraphes 106 à 108, la Cour traite de la variabilité de l'étendue du devoir d'information en fonction des besoins et des connaissances de la partie en droit de recevoir l'information, précisant que cela n'exclut pas que tous les individus en droit de recevoir une information puissent en avoir été privés en raison d'une omission systématique, comme en l'espèce.
[8] Id., par. 114 à 127
[9] Id, par. 83-85.
[10] Id., par. 140.
[11] Id., par. 157.
[12] Id., par. 15 à 17.
Fin