Affaire de la pyrrhotite : l’art de répartir les responsabilités

  • Développement en droit 11 mai 2020 11 mai 2020
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Dans le cadre de notre série sur le récent arrêt de la Cour d’appel dans l’affaire Deguise c. Montminy, concernant la première vague de procès liés à l’effritement de fondations en béton en raison de la présence de pyrrhotite, Trevor McCann, Catherine Tyndale et William Plante-Bischoff examinent la manière dont le tribunal a traité les questions relatives à la responsabilité des entrepreneurs.

Affaire de la pyrrhotite : l’art de répartir les responsabilités

La poursuite a été lancée lorsque des centaines de maisons en Mauricie ont été endommagées. Ces maisons avaient été construites entre 2003 et 2008 avec du béton de mauvaise qualité contenant de la pyrrhotite, un minéral sulfuré qui peut provoquer des réactions chimiques et affaiblir les fondations.

De fait, il y a eu trois vagues de litiges impliquant des vendeurs, des entrepreneurs généraux, des bétonnières, une entreprise d’extraction, un géologue et une société d’ingénierie, et, naturellement, leurs assureurs. La première vague de procès touchait 832 bâtiments, dont 446 résidences unifamiliales, 312 maisons jumelées, 56 immeubles résidentiels à logements multiples et 18 bâtiments commerciaux. (Les deuxième et troisième vagues sont toujours en attente de procès).

La Cour supérieure du Québec a rendu 69 jugements, concluant que les entrepreneurs généraux et les coffreurs devaient être tenus responsables des fondations endommagées.

Les entrepreneurs avaient acheté leur béton auprès de deux fournisseurs, Construction Yvan Boisvert inc. et Béton Laurentides inc. qui, ensemble, s’approvisionnaient en granulats dans la même carrière, exploitée par une société qu’ils détenaient et administraient conjointement, Carrière B&B inc.

Le juge de première instance a estimé qu’en vertu de l’article 2118 du Code civil du Québec, l’entrepreneur était présumé responsable de la perte d’un ouvrage dans les cinq ans suivant son achèvement. Il a également appliqué les dispositions du C.c.Q. sur la garantie de qualité dans un contrat de vente.

En appel, les entrepreneurs ont présenté deux arguments principaux. Tout d’abord, le juge de première instance a commis une erreur dans l’application de l’article 2118 C.c.Q., car les dommages résultaient d’un vice caché plutôt que de la construction elle-même. Selon leur second argument, ils devraient être exonérés de toute responsabilité puisqu’une tierce partie a causé les dommages, en l’occurrence les fournisseurs et SNC-Lavalin dont le géologue a conclu dans une série de rapports que les granulats extraits de la carrière de B&B pouvaient être utilisés pour faire du béton sans risque de réactions nuisibles.

Le choix des matériaux n’est pas un événement extérieur

La Cour d’appel a rejeté le premier argument. Elle a constaté que la présence de pyrrhotite dans les fondations était à la fois un vice caché et un vice de construction. Cela signifiait que le client pouvait compter sur la garantie de qualité et la présomption de responsabilité prévues à l’article 2118 C.c.Q., qui impose une obligation de résultat (c’est-à-dire une responsabilité objective). Comme les dommages résultaient de l’utilisation de mauvais matériaux qu’ils avaient choisis, les entrepreneurs ne pouvaient pas prétendre ne pas être responsables de leur mauvais rendement.

Premièrement, en vertu de l’article 2117 C.c.Q., un client a le droit de vérifier la qualité des matériaux utilisés par un entrepreneur pendant la construction, y compris ceux fournis par les fournisseurs. Deuxièmement, en vertu de l’article 2099 C.c.Q., l’entrepreneur est libre de choisir les bons matériaux pour la construction. Enfin, l’article 2726 C.c.Q. accorde une hypothèque légale au fournisseur qui a participé à la construction d’un bâtiment. Dans l’ensemble, la Cour d’appel a jugé qu’un entrepreneur utilisant des matériaux de mauvaise qualité, même s’ils sont fournis par un tiers, ne constitue pas un événement extérieur à la construction. Il en va de même pour la présence de pyrrhotite dans le béton utilisé par les entrepreneurs pour construire les fondations.

La responsabilité d’autrui

La Cour d’appel a toutefois conclu que, contrairement à ce que le juge de première instance avait constaté, les entrepreneurs et les autoconstructeurs n’avaient pas à être tenus responsables.

La Cour d’appel a d’abord constaté que le juge de première instance avait commis une erreur en jugeant que l’un des deux fournisseurs, Construction Yvan Boisvert, participait à une « œuvre commune » avec l’autre fournisseur,

Béton Laurentides, puisque les deux entreprises étaient en fait des concurrents dans l’industrie du béton. Malgré cela, l’erreur n’a pas eu d’incidence sur l’issue de l’affaire, puisque le juge de première instance n’a pas tenu B&B et les deux fournisseurs pour solidairement (c’est-à-dire conjointement) responsables. En effet, la Cour d’appel a appuyé sa conclusion selon laquelle chacun des fournisseurs était solidairement responsable avec B&B pour les dommages causés par le béton nuisible qu’il fournissait.

La Cour d’appel a ensuite estimé que le juge de première instance avait eu raison de conclure que le géologue de SNC, Alain Blanchette, avait fait preuve de négligence professionnelle en déclarant à B&B et aux fournisseurs que la concentration de pyrrhotite dans les granulats extraits de la carrière n’était pas nuisible. La Cour d’appel a jugé que cette négligence avait causé des dommages à B&B et aux fournisseurs puisqu’ils s’appuyaient sur ces constatations pour commercialiser les granulats nécessaires à la fabrication du béton. Il existait des informations montrant les effets nocifs de la pyrrhotite que M. Blanchette n’a pas prises en compte ou dont il n’avait pas connaissance.

La Cour d’appel a déterminé que les entrepreneurs, B&B, les fournisseurs et SNC/M. Blanchette étaient tous responsables in solidum envers les propriétaires des bâtiments. La notion juridique de responsabilité in solidum s’applique aux situations dans lesquelles les fautifs ont commis chacun une faute indépendante des fautes des autres fautifs, mais qui, ensemble, ont causé un seul dommage. La victime de ce préjudice peut demander réparation à l’un ou l’autre des fautifs, qui peut alors se tourner vers les autres fautifs pour obtenir des montants payés au prorata de leur contribution au dommage. Le tribunal a décidé que la responsabilité devait être partagée à parts égales entre les fournisseurs et B&B.

En ce qui concerne les entrepreneurs et les fournisseurs, la Cour d’appel n’a pas suivi le raisonnement du juge de première instance, qui avait jugé que les entrepreneurs étaient responsables de 5 % des dommages causés aux propriétaires, en partie parce qu’ils étaient tenus de respecter les normes de la CSA interdisant l’utilisation de granulats susceptibles de gonfler. La Cour d’appel a plutôt conclu que les entrepreneurs n’étaient responsables d’aucune partie des dommages, car ils étaient en droit de s’appuyer sur une attestation des fournisseurs selon laquelle le béton répondait aux normes de la CSA.

La Cour d’appel a également conclu que les entrepreneurs n’étaient pas tenus d’être plus prudents malgré leur connaissance de défaillances similaires résultant de bétons fabriqués avec des granulats extraits d’une autre carrière voisine, car la cause de ces défaillances avait été attribuée à tort à la mauvaise qualité du ciment. La Cour d’appel a condamné les fournisseurs et B&B à indemniser les entrepreneurs pour tout montant qu’ils pourraient être tenus de payer aux propriétaires.

La Cour d’appel a également conclu que SNC et M. Blanchette avaient une responsabilité extracontractuelle in solidum envers les entrepreneurs (par opposition aux fournisseurs qui étaient contractuellement responsables envers eux).

Mais qui, parmi les fournisseurs/B&B et SNC/Blanchette, devait assumer la part de responsabilité in solidum qui avait été attribuée par erreur aux entrepreneurs et autoconstructeurs? Les fournisseurs, a déclaré le tribunal, connaissaient les problèmes liés aux granulats extraits de la carrière voisine jouxtant la carrière B&B. Ils avaient reçu le rapport Bérubé, publié en mai 2002, qui mettait en garde contre l’utilisation de granulats contenant de la pyrrhotite. Bien qu’ils se soient finalement appuyés sur le rapport de M. Blanchette, ils sont restés préoccupés par la qualité du granulat. En conséquence, la Cour d’appel a estimé que la proportion de la responsabilité in solidum initialement attribuée aux entrepreneurs et autoconstructeurs devait être assumée par les fournisseurs et B&B. SNC et Blanchette étaient donc responsables de 70 % des dommages des propriétaires, et les fournisseurs et B&B de 30 %.

Fin

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